Comment l’IA remet en doute mes croyances sur le droit d’auteur et les licences libres

Illustration d'un homme qui doute

Avertissement : je ne suis pas juriste ou spécialiste du droit d’auteur.
Ce billet de blog vise avant tout à faire part de mes observations, de mes questionnements et de ce que j’observe en tant qu’amateur d’art et internaute.

La section commentaires est ouverte si vous souhaitez apporter des éléments de réflexion et/ou de contradiction.

J’ai été de ces personnes qui ont cru à l’utopie d’internet quand j’étais adolescent. Je croyais que partager le savoir au monde entier allait instantanément rendre le monde meilleur. Ce qui s’est passé est en réalité beaucoup plus compliqué, et il semblerait que malgré tous les efforts des activistes et du monde du partage du logiciel libre et des licences libres, ce combat puisse être considéré aujourd’hui comme perdu en grande partie :

Ce que j’observe aujourd’hui sur le logiciel libre en 2024 :

  • L’usage des licences libres semble rester très marginal
  • Le logiciel libre s’est énormément fait avaler par le concept des logiciels open source, qui permet aux entreprises de tirer les profits du code ouvert et des contributions des développeurs sans avoir besoin de s’encombrer des valeurs éthiques et sociales
  • Le navigateur web Mozilla Firefox, dernier représentant des navigateurs en logiciel libre semble sur le point de mourir et disparaître lentement
  • Les ordinateurs personnels sous systèmes GNU/Linux n’ont pas réussi à remplacer les ordinateurs personnels sous Windows ou MacOS

Cependant, le monde du logiciel libre peut quand même revendiquer quelques victoires : l’usage des licences libres par les pouvoirs publics, ou encore la persistance de Wikipédia parmi les sites les plus visités du monde.

Les licences libres dans le domaine culturel

Dans le domaine des arts, de la musique, du cinéma, de la photographie, du dessin… Le constat est encore pire.

Les artistes qui adhèrent encore aujourd’hui aux licences libres sont rarissimes, de nombreux sites et anciennes communautés dédiées à ces modes de créations sont aujourd’hui fermés ou désertés.

Et dans les rares sites encore en vie, on semble avoir trouvé un mode de rémunération qui n’a plus grand chose à voir avec l’éthique, comme la société Jamendo, autrefois une communauté de passionnés de musique, aujourd’hui une société basée au luxembourg qui affiche sur son site travailler avec Carrefour et MacDonald’s, en semblant avoir développé ce qui ressemble à une sorte de SACEM low-cost, définitivement condamné par la cour de cassation en 2019.

La justice coûte cher, et on peut comprendre qu’il est difficile pour des petits artistes de faire valoir leurs droits. En ce sens, l’adhésion aux sociétés collectives de droits d’auteur semble être un choix plus rationnel, que de vouloir supporter seul les charges liées à la protection juridique de son activité, ou à se lancer dans la création d’une hasardeuse organisation d’artistes qui chercheraient à réinventer la roue du droit d’auteur sur la base des licences libres.

Les intelligences artificielles génératives enfoncent le clou sur le cercueil des licences libres dans l'art

C’est alors que les licences libres dans l’art semblaient déjà être sur le point de mourir, qu’arrivent les intelligences artificielles génératives, Dall-E le 5 janvier 2021 puis ChatGPT le 30 novembre 2022. Ces programmes boulversent le monde de la culture et remettent en cause les juridictions sur le droit d’auteur.

Ces intelligences artificielles se basent sur des tas d’œuvres protégées par le droit d’auteur, mais comme elle ne les republient pas directement, leurs créateurs font valoir qu’ils n’enfreignent pas juridiquement les lois, puisqu’ils ne redistribuent pas les œuvres transformées ou modifiées, mais en produisent de nouvelles.

Cependant, une machine ne peut pas être considérée comme la créatrice d’une œuvre d’art, grâce à la jurisprudence du singe Naruto qui s’était lui-même pris en photo et avait déjà causé un gigantesque capharnaüm juridique pour savoir si un animal pouvait être considéré comme l’auteur d’une photo.

Guerre entre géants de l'IA et sociétés de droits d'auteur

Les géants de l’intelligence artificielle générative Microsoft, Google, OpenAI vont devoir faire face à de nombreuses plaintes et revendications en tout genre de la part des organisations qui regroupent les artistes.

Mais ces regroupements paraissent économiquement bien fragiles en comparaison à la toute puissance des géants de la technologie en face.

Peut-on encore aujourd’hui raisonnablement défendre que les licences libres pourraient être un moyen de résister aux géants de la technologie et aux systèmes souvent perçus comme injuste de rémunération des droits d’auteur, alors que tout semble montrer que les licences libres et le domaine public semblent avoir perdu tout leur carctère politique et contestataire, et, à l’image des logiciels open source, n’être plus qu’une source de profits et de données supplémentaires pour les plus grandes entreprises de la planète ?

Le monde dans lequel on pouvait encore rêver d’une licence globale qui permettrait de légaliser le téléchargement illégal contre une somme prélevée tous les mois sur l’abonnement internet semble aujourd’hui très éloigné.

Les licences libres ont-elles encore un avenir ?

La réponse honnête est : je ne sais pas, mais j’en doute.

Il me semble difficile de recommander à des artistes qui souhaitent vivre de leur art de se tourner vers les licences libres, au risque de se faire manger et exploiter par de grosses entreprises, sans avoir de recours juridique.

Si les licences libres ont un avenir, il restera probablement marginal, pour des petits projets amateurs, sans but lucratif, sans grands enjeux juridiques, et sur un public très informé de l’utilisation des licences libres et de leurs conséquences.

Je continuerai probablement à regarder les licences libres d’un œil bienveillant à l’avenir, mais je pense que se battre pour vouloir changer le monde à l’aide de cet outil aujourd’hui est une cause perdue.